Lucie COUSTURIER
(1876–1925)
Lucie BRÛ est née le 19 décembre 1876 dans une famille renommée. Son père, fort ingénieux, dépose à partir de 1867 moult brevets concernant des poupées pour enfants (qui font, aujourd’hui encore, rêver les collectionneurs). Plus tard, converti à la fabrication de pianos, il se distinguera encore par diverses inventions comme la sourdine atténuée.
Lucie eut une enfance choyée, et révéla tôt un entendement d’exception et une subtile sensibilité. Elle reçut les meilleures leçons en littérature, en musique, en dessin et en sculpture. Un rien farouche, elle fit preuve pourtant d’une grande volonté à ouvrir les chemins qu’elle rêvait. C’est cette détermination qu’elle déploya pour approcher les écrivains qu’elle admirait (telle Marguerite Eymery dite Rachilde) et les musiciens qui l’éblouissaient (comme Cécile Chaminade).
Mais rien n’est vraiment connu quant à sa décisive rencontre avec Paul Signac. C’est en effet ce maître, inspiré et rigoureux, qui devint son guide. Et le prosélytisme de celui-ci était tel en matière de divisionnisme que Lucie y adhéra tout naturellement. Seurat certes était mort en 1891 (à 31 ans), mais Signac continuait à faire vivre sa voix.
Composition divisionniste.
En 1900, Lucie épouse Edmond Cousturier, un peu peintre et un peu critique d’art. Les relations d’Edmond et de Signac deviennent celles de Lucie, dans un environnement un soupçon anarchiste, mais de haute culture. Il y a là Félix Fénéon (le fameux critique d’art) et un noyau d’une quinzaine de peintre dont Angrand, Cross, Luce, Van Rysselberghe, mais aussi des figures havraises. C’est tout ce petit monde sans doute qui incite le père de Lucie à acquérir la merveilleuse toile de Seurat Un dimanche après-midi à l'île de la Grande Jatte, toile qu’il offrira à sa fille.
Lucie exposa aux Indépendants très régulièrement de 1901 à 1921. Elle fut 5 fois l’invitée de la Libre Esthétique à Bruxelles entre 1906 et 1913, et elle participa au Cercle de l’Art Moderne havrais les 4 années de son existence. La galerie Druet montra ses œuvres de 1906 à 1913, dont une grande exposition en 1907. Elle fut aussi régulièrement aux cimaises de la galerie Berheim-Jeune, avec la complicité de laquelle d’ailleurs elle fit en 1913 un don important de ses œuvres au musée de Tananarive (Madagascar).
La peinture de Lucie est un divisionnisme amendé, aucunement un pointillisme en tout cas. Dans des rapports de tons d’une parfaite justesse, les touches sont larges (parfois rectangulaires) et elle innove en jouant avec les directions de ces touches pour donner équilibre et eurythmie à ses œuvres. Observant que son écriture pose quelques problèmes avec la perspective, elle renouera avec une sorte d’impressionnisme avant d’instituer une écriture merveilleusement moderne, lyrique sans être lacrymatoire, avec de grands tourbillons (souvent mauves ou pourpres) comme si elle voulait dire le rapport entre la matière et l’énergie.
Les Cousturier font passer l’éducation de François, leur fils, avant les voyages, même si l’on connaît quelques visites à Étretat et dans l’Oberland bernois. Mais, en 1912, le couple acquiert une maison (Les Parasols) dans l’Estérel, à Fréjus, où Lucie donne des œuvres lumineuses (natures mortes, paysages), absolument majeures. L’écriture cependant prend peu à peu le pas sur la peinture et l’on sait ses écrits brillants sur Bonnard, Luce, Seurat et Signac.
Durant la Grande Guerre, Lucie est à Fréjus. La ville est alors une importante garnison de tirailleurs sénégalais (au camp Robert). L’Afrique est déjà inscrite dans l’imaginaire de Lucie ; elle en a entendu les récits de son beau-frère Paul Cousturier, qui fut gouverneur de la Guinée. Elle rencontre des tirailleurs, sympathise avec eux, et se fait leur bienveillante institutrice.
Nature morte aux tomates et aux choux.
La guerre finie, elle harcèle le ministre des colonies Albert Sarraut, et finit par se voir confier une mission d’étude sur le statut des femmes dans les colonies de l’AOF. Le voyage, en 1921-1922, sera un vrai travail d’ethnologue, enrichi d’aquarelles remarquables. Ce sera aussi un travail humaniste, précurseur au sens où il dénonce l’ethnocentrisme de la culture blanche. Entre Fréjus et ce voyage, elle donnera plusieurs livres sur la négritude : Des inconnus chez moi, Mes inconnus chez eux, Les forêts du Haut-Niger, Mon amie Fatou citadine, Mon ami soumaré Laptot. Lucie comprenait la négritude parce qu’elle l’aimait, parce qu’elle savait que le racisme est une infirmité, signe de quelque désordre intérieur dans le rapport de soi à soi.
Mais une maladie sévère et grave atteint Lucie. Cette irruption de l’idée de sa précarité, de sa finitude, l’invite au recueillement et à l’humilité. Elle meurt le 15 juin 1925, à Paris.